a) Effet d’un gradient de champ magnétique sur les signaux de l’interféromètre
Nous avons mesuré l’effet d’un gradient de champ magnétique sur le signal interférométrique. Dans la théorie la plus simple, l’effet Zeeman est linéaire et chaque niveau de F, MF reçoit un déphasage proportionnel à la différence des intégrales du champ magnétique le long des deux chemins atomiques. Ce déphasage est donc proportionnel à MF et au facteur de Landé du niveau F et on peut aussi montrer que ce déphasage est proportionnel à l’ordre de diffraction et à l’inverse du carré de la vitesse de l’atome.
Durant l’expérience, un champ magnétique avec un gradient est crée par une petite bobine située près des faisceaux atomiques et le déphasage crée est proportionnel au courant I circulant dans la bobine. Nous enregistrons des franges d’interférence pour des courants I variés et nous mesurons la visibilité des franges et aussi leur phase relative par rapport à un enregistrement fait avec I=0. Quand le courant I augmente, on observe une décroissance rapide de la visibilité des franges, qui présente ensuite une série de récurrences, correspondant à des déphasages multiples entiers de 2 A cause de la dépendance en vitesse du déphasage induit par un gradient de champ magnétique, les récurrences sont de moins en moins intenses et cette expérience est donc sensible à la distribution de vitesse des atomes formant le signal de l’interféromètre.
Ces mesures sont donc très intéressantes car elles permettent de tester plusieurs aspects du fonctionnement de l’interféromètre atomique :
La sensibilité aux niveaux F, MF et aux facteurs de Landé permet par exemple de vérifier la sélectivité isotopique de notre interféromètre : en choisissant la fréquence du laser près d’une transition du lithium 7 ou du lithium 6, un seul isotope contribue au signal de l’interféromètre et cette expérience permet de le vérifier car les récurrences prévues n’ont pas lieu pour les mêmes courants et les signaux n’ont pas la même forme.
Le nombre des récurrences visibles dépend de la distribution de vitesse qui dépend de l’ordre de diffraction utilisé, car la diffraction de Bragg est sélective en vitesse et sa sélectivité dépend de l’ordre de diffraction utilisé. On peut ainsi mesurer la largeur relative de la distribution de vitesse et vérifier l’existence de cette sélectivité en vitesse.
La théorie exacte doit tenir compte de l’effet Zeeman quadratique qui résulte du découplage hyperfin : il joue un rôle même pour les champs faibles utilisés, de l’ordre de 10-3 Tesla. Comme ce rôle n’est pas le même pour les deux niveaux hyperfins F=1 et F=2 du lithium 7, une expérience faite en pompant optiquement le lithium dans le niveau F=1 permet de vérifier ces prédictions en détail.
b) Mesure de la polarisabilité électrique statique de l’atome de lithium
La mesure de la polarisabilité électrique statique d’un atome est une application particulièrement intéressante de l’interférométrie atomique pour deux raisons principales :
cette mesure n’est pas possible par la spectroscopie qui ne peut mesurer que des différences de polarisabilité ;
les mesures de polarisabilités électriques atomiques se font en général par la mesure de la très faible modification de la trajectoire de l’atome soumis à un champ électrique intense, avec un fort gradient. L’extrême sensibilité de l’interférométrie atomique est parfaitement adaptée à détecter de faibles perturbations de la propagation de l’atome et ceci permet de travailler avec des champs beaucoup plus faibles. Cette possibilité a été reconnue dès 1995 par D. Pritchard et ses collaborateurs (C. R. Ekstrom, et al, Phys. Rev. A 51, 3883 (1995)) qui ont mesuré ainsi la polarisabilité électrique de l’atome de sodium ;
la mesure la plus précise de la polarisabilité électrique du lithium a été faite par Bederson et ses collaborateurs en 1974 et c’est en fait une mesure indirecte. La polarisabilité du lithium est comparée à la polarisabilité de l’hélium métastable, qui est calculée avec une bonne précision. Au contraire, ave l’interférométrie atomique, nous pouvons faire une mesure directe et absolue.
Notre expérience est très proche de celle faite sur le sodium par D. Pritchard et ses collaborateurs. Il faut construire un condensateur de précision, avec une électrode mince (un " septum ") qui peut s’insérer entre les deux faisceaux atomiques et permettre d’appliquer un champ électrique sur un seul des deux faisceaux. Ce champ électrique crée un déphasage proportionnel à la polarisabilité électrique, au carré du champ appliqué (ou plutôt à l’intégrale de cette quantité le long du faisceau atomique) et à l’inverse de la vitesse atomique. La figure 3 montre un exemple de signaux enregistrés avec le condensateur en présence d’un champ électrique nul puis non nul.
Figure 3 : signaux enregistrés : en noir potentiel appliqué V= 0 et en gris potentiel appliqué voisin de V = 260 Volts. Le déphasage dû au champ électrique est voisin de 3. Chaque point de mesure correspond à un temps de comptage de 0.36 s.
Il faut donc que le condensateur soit modélisable de manière précise pour permettre d ’évaluer l’intégrale du carré du champ électrique et nous avons développé une géométrie originale, qui permet de calculer analytiquement cette intégrale.
Il faut aussi tenir compte de la distribution de vitesse des atomes, puisque le déphasage est inversement proportionnel à la vitesse et cette prise en compte est indispensable pour bien représenter les résultats expérimentaux.
Les mesures du déphasage varient bien comme on s’y attend avec la tension électrique appliquée et nous extrayons la constante de proportionnalité avec une incertitude relative inférieure à 0.1%. La principale limitation sur la mesure de la polarisabilité électrique vient de l’incertitude sur la mesure de la vitesse moyenne des atomes et nous obtenons :
alpha = (24.33 +/- 0.16) 10^-30 m^3 = 164.2 1.1 unités atomiques
en très bon accord avec les mesures antérieures alpha = (22 +/- 2) 10^-30 m^3 par Chamberlain et Zorn en 1963 et alpha = (24.3 +/- 0.5) 10^-30 m^3 par Bederson et ses collaborateurs en 1974. Nous espérons réduire encore l’incertitude sur cette mesure.
Les calculs de la polarisabilité électrique du lithium sont nombreux, avec des calculs semi-empiriques et des calculs ab initio. Les calculs Hartree-Fock donnent des valeurs proches de = 170. u. a., tandis que les calculs prenant en compte les effets de corrélations électroniques sont tous dans la zone 162.-166. u.a.. En 1994, Kassimi and Thakkar ont fait une series de calcul de perturbation Moller-Plesset d’ordre 2, 3 et 4 , et de la convergence de cette série, ils ont predit alpha = 164.2 +/- 0.1 u.a.. La valeur la plus précise alpha = 164.111 +/- 0.002 a.u., a été obtenue en 1996 par G. F. Drake et ses collaborateurs, grâce à un calcul Hylleraas. Ces calculs très précis négligent encore l’effet de masse finie du noyau et les effets relativistes : les corrections associées sont petites, au plus de l’ordre de quelques 10^-2 u.a.. Notre résultat expérimental est en excellent accord avec ces deux résultats théoriques de grande précision.
A. Miffre, M. Jacquey, M. Büchner, G. Trénec and J. Vigué, " Measurement of the electric polarizability of lithium by atom interferometry ", Phys. Rev A 73, 011603(R) (2006) et preprint sur https://hal.ccsd.cnrs.fr/ccsd-00005359.
A. Miffre, M. Jacquey, M. Büchner, G. Trénec and J. Vigué, " Atom interferometry measurement of the electric polarizability of lithium ", Eur. Phys. J. D DOI : 10.1140/epjd/e2006-00015-5 et preprint sur https://hal.ccsd.cnrs.fr/ccsd-00007737.
c) Mesure de l’indice de réfraction des gaz pour les ondes atomiques
Ces mesures commencent actuellement : pour cela, nous allons insérer, à l’intérieur de l’interféromètre, sur un des deux chemins atomiques une cellule sans fenêtre contenant un gaz sous basse pression (environ 10-3 mbar d’un gaz rare) et nous comptons mesurer le déphasage et l’atténuation induits sur l’onde atomique qui a traversé la cellule par la présence de ce gaz. De telles expériences n’ont été faites que sur le sodium par l’équipe de D. Prichard (J. Schmiedmayer et al., Phys. Rev. Lett. 74, 1043 (1995) ; T. D. Roberts et al., Phys. Rev. Lett. 89, 200406 (2002)).
Nous espérons faire des mesures très complètes et très précises dans le cas du lithium. Nous comptons aussi comparer nos résultats de mesure avec des calculs : l’indice de réfraction est relié à l’onde diffusée vers l’avant et les parties réelle et imaginaire de l’indice sont proportionnelles aux parties réelle et imaginaire de l’amplitude de diffusion vers l’avant. Comme les potentiels d’interaction du lithium avec les gaz rares sont bien connus grâce à des études de collisions (mesure de sections efficaces totales et de sections efficaces différentielles) et à la spectroscopie laser des complexes de van der Waals, les prédictions théoriques devraient être de bonne précision.
d) Autres travaux : optimisation du détecteur à fil chaud
Nous utilisons un détecteur à fil chaud (détecteur de Langmuir-Taylor) pour ioniser et détecter les atomes de lithium sortant de l’interféromètre. En effet, comme ces atomes de lithium ont une vitesse élevée, voisine de 1000 m/s, la fluorescence induite par laser n’est pas très sensible et le détecteur à fil chaud reste le détecteur le plus sensible pour les atomes alcalins rapides. Cependant, l’optimisation de ce détecteur pour le lithium est assez délicate à cause du potentiel d’ionisation élevé de cet élément (5.3 eV), le plus élevé de tous les alcalins. nous avons analysé de manière très complète le fonctionnement de ce détecteur en fonction de la température du fil dans le cas d’un fil de rhénium.
R. DELHUILLE, A. MIFFRE, E. LAVALLETTE, M. BÜCHNER, C. RIZZO, G. TRÉNEC, J. VIGUÉ, H. J. LOESCH and J. P. GAUYACQ, " Optimization of a Langmuir-Taylor detector for lithium ", Rev. Scient. Instrum. 73, 2249-58 (2002)
e) Autres travaux : distribution de vitesse de notre jet atomique
Nous avons mesuré par effet Doppler la distribution de vitesse du jet de lithium qui est un jet supersonique de lithium ensemencé dans l’argon. Le résultat fut inattendu : la distribution de vitesse parallèle est caractérisée par une température, voisine de 6,6 Kelvin dans nos conditions habituelles de travail alors que la température parallèle calculée pour l’argon est de 19 Kelvin. Cet effet de refroidissement plus poussé pour le lithium (de masse atomique 7) que pour le gaz porteur (l’argon de masse atomique 40) n’était pas bien connu (un seul exemple similaire a été observé, en 2000, sur un jet d’oxygène atomique dans l’argon, par l’équipe de Campargue) et surtout pas expliqué : nous avons montré que la théorie des expansions supersoniques permet de l’expliquer quantitativement dans l’hypothèse d’un gaz léger ensemencé (avec une forte dilution) dans un gaz porteur plus lourd. La base de l’effet est que les températures parallèle et perpendiculaire du gaz ensemencé sont couplées par les collisions entre elles et aux températures parallèle et perpendiculaire du gaz porteur : comme les températures perpendiculaires décroissent indéfiniment, il n’y pas de contradiction à ce que la température parallèle du gaz ensemencé décroisse nettement au-dessous de celle du gaz porteur.
La largeur de la distribution de vitesse est d’une grande importance car elle fixe la longueur de cohérence du jet atomique et donc le déphasage maximal observable dans une expérience d’interférométrie (du moins pour les déphasages dispersifs qui sont normalement proportionnels à v-1 où v est la vitesse atomique).
A. MIFFRE, M. JACQUEY, M. BÜCHNER, G. TRENEC and J. VIGUÉ , " Anomalous cooling of the parallel velocity in seeded beams ", Phys. Rev. A 70, 030701(R) (2004)
A. MIFFRE, M. JACQUEY, M. BÜCHNER, G. TRENEC and J. VIGUÉ, " Parallel temperatures in supersonic beams : Ultracooling of light atoms seeded in a heavier carrier gas ", J. Chem. Phys. 122, 094308 (2005)
f) Autres travaux : analyse d’un interféromètre optique à 3 réseaux
Nous utilisons un interféromètre optique de Mach-Zehnder à 3 réseaux de diffraction pour contrôler la position des trois miroirs formant les ondes stationnaires laser de notre interféromètre atomique. Cet appareil de construction aisée présente l’intérêt d’illustrer comment fonctionnent les interféromètres à neutrons et les interféromètres atomiques. Nous avons décrit cet appareil et son fonctionnement dans un article didactique qui est une introduction aux interféromètres à ondes de matière.
A. MIFFRE, R. DELHUILLE, B. VIARIS DE LESEGNO, M. BÜCHNER, C. RIZZO and J. VIGUÉ, " The three-grating Mach-Zehnder optical interferometer : a tutorial approach using particle optics ", European Journal of Physics, 23, 623-635 (2002)
g) construction d’un laser puissant et monofréquence émettant à 671 nm
Nous utilisons actuellement un laser à colorant monofréquence pompé par laser à argon ionisé pour produire une puissance d’environ 500 milliwatts à la longueur d’onde de 671 nm : ce faisceau laser sert à former les trois ondes stationnaires nécessaires pour diffracter les faisceaux atomiques de lithium.
Nous avons entrepris la construction d’un laser à milieu amplificateur solide et pompé par des diodes laser à 808 nm pour remplacer le système actuel. Nous espérons gagner en puissance, en stabilité de fréquence, en commodité d’emploi et en coût de fonctionnement (le système actuel a un coût annuel de fonctionnement très élevé, alors que le prix des diodes lasers de puissance émettant à 808 nm baisse rapidement). Ce projet implique des collaborations avec des équipes extérieures (INM au CNAM à Paris, IOTA à Orsay, LGE de Grenoble). Nous avons déjà obtenu des performances intéressantes.