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Mesurer le temps de traversée d’une barrière par effet tunnel

L’effet tunnel d’une particule matérielle à travers une barrière constitue l’une des prédictions les plus surprenantes de la mécanique quantique pour laquelle aucun équivalent classique n’existe. Si cet effet est étudié et utilisé dans de nombreuses applications, notamment en microscopie électronique, à l’heure actuelle, la question du temps requis pour traverser une barrière par effet tunnel reste une question ouverte intimement reliée au statut du temps en mécanique quantique. Cette question a été soulevée dès les années 30. Néanmoins, bien que cette question ait fait (et fait encore) l’objet de nombreuses études théoriques, il n’y a pas à l’heure actuelle de définition unique du temps de traversée tunnel. Expérimentalement, des mesures ont été faites dans le domaine de la physique de la matière condensée, et plus récemment dans celui de la physique attoseconde avec l’étude de l’ionisation tunnel où des temps de traversée de l’ordre de quelques dizaines d’attosecondes ont été mesurés.

Des physiciens viennent de mesurer pour la première fois le temps de traversée tunnel pour des atomes. Pour cette mesure les physiciens ont divisé en deux un paquet d’ondes constitué d’atomes ultra-froids à l’aide d’une barrière réalisée optiquement; une partie du paquet d’onde est réfléchie par la barrière et l’autre traverse la barrière par effet tunnel. La partie réfléchie du paquet d’onde sert alors d’horloge pour mesurer le décalage temporel induit par la traversée de la barrière par effet tunnel. Les échelles de temps mises en jeu sont ici de l’ordre de quelques dizaines de microsecondes.

Plus précisément pour réaliser cette mesure, les physiciens ont piégé des atomes ultra-froids dans un potentiel périodique spatialement, i.e. un réseau optique, constitué de barrières de potentiel régulièrement espacées par une distance de quelques centaines de nanomètres. Les atomes sont mis en mouvement dans ce réseau en déplaçant ce dernier brutalement de quelques dizaines de nm. Les atomes peuvent alors osciller dans chacun des puits du réseau et éventuellement traverser les barrières de potentiel par effet tunnel. La dynamique se fait en parallèle dans les différents puits du réseau. La séparation et la recombinaison de paquets d’onde atomique sur deux barrières successives ont permis aux physiciens de réaliser une chaine d’interféromètres atomiques, analogue des interféromètres optiques. Dans ce cas, du fait de la distance entre deux barrières successives, les interféromètres sont de taille micrométrique.

Il est toutefois délicat de comparer les mesures effectuées avec les différentes définitions du temps tunnel existantes. En effet les modèles introduits jusqu’à présent ont été développés pour des particules se propageant en espace libre. Dans le cas présent, l’environnement rencontré par les atomes est un réseau optique comprenant un grand nombre de barrières. Des effets collectifs sont alors à l’œuvre, modifiant fondamentalement la dynamique du système. L’extension des modèles existants à un tel environnement devrait être stimulé par ces expériences.

Figure : Evolution du paquet d’onde dans l’espace des vitesses (observé après temps de vol). L’oscillation induite par le déplacement initial s’accompagne d’une séparation du paquet atomique en deux après le premier point de rebroussement. Après division sur deux points de rebroussement successifs, une interférence constructive est observée.

Direct tunneling delay time measurement in an optical lattice,
A. Fortun, C. Cabrera-Gutiérrez, G. Condon, E. Michon, J. Billy et D. Guéry-Odelin,
Physical Review Letters, 117, 010401 (2016)

Laboratoire Collisions Agrégats Réactivité (LCAR), Toulouse